Big Bang Mama is BACK! Me voici de retour après une looongue pause pour cause de vacances scolaires et d’enfants plus que présents. Et de tergiversation de l’esprit, on ne va pas se mentir ! Je viens de terminer un livre qui faisait partie de ma liste : « Un si gros ventre« de Camille Froidevaux-Metterie.
J’attendais avec impatience la lecture de ce livre. Je me suis posée énormément de questions pendant ma grossesse. Ce que je vis est-il singulier ou universel ? Suis-je libre de ma maternité ? Est-ce un exploit de fabriquer un enfant, ou une banalité ? Pourquoi certaines étapes me semblent si difficiles alors qu’elles semblent si naturelles pour d’autres ? J’étais toujours confrontée à un mur intellectuel. D’une part, soit on me renvoyait l’idée que la maternité ne pouvait être pensée que comme quelque chose d’aliénant, à éviter à tout prix. D’autre part, on me renvoyait l’idée qu’elle était complètement naturelle et joyeuse, et donc non questionnable. Soit, enfin, je ne trouvais tout simplement rien sur le sujet parce que les philosophes (hommes) que je connaissais n’avaient jamais abordé le sujet.
C’était sans compter sur Camille Froidevaux-Metterie. Elle propose, après une enquête qualitative de type « sociologique », une photographie de ce qu’est vivre l’expérience de la grossesse au XXIème siècle. Elle nous rappelle à quel point l’expérience peut être infiniment diverse. Aussi, elle nous fait prendre conscience de certaines injonctions : un premier pas essentiel pour s’en libérer.
Je me suis énormément reconnue dans de nombreux témoignages recensés ainsi que dans les réflexions de l’auteure. Comme moi, tu te reconnaîtras peut-être dans les sentiments paradoxaux de certaines femmes pendant leur grossesse. Tu te reconnaîtras peut-être dans cette femme qui refuse un tout petit geste. Parce que c’est sa manière de lutter et de dire que son corps lui appartient. Ou bien tu te reconnaîtras peut-être dans le soulagement ressenti lorsque tu donnes enfin à la société ce qu’elle attend de toi depuis toujours. Je trouve que cela fait toujours du bien de voir que d’autres femmes partagent notre vécu. Cela le rend plus légitime.
L’auteure permet également de donner du sens à ce que l’on vit parfois comme un simple et « naturel » ressenti. Elle donne du sens à la violence ressentie dans des gestes en apparence anodins… Elle montre que ces ressentis peuvent être conditionnés par la société. A l’instar de Durkheim qui osa soutenir qu’il y avait quelque chose de profondément social dans la décision intime de se suicider, elle montre qu’il y a quelque chose de public et politique dans la manière de voir son ventre s’arrondir. Et qu’il est temps de devenir le sujet de nos propres ventres.
Il faut lire « Un si gros ventre » pour comprendre à quel point il est parlant. Je t’encourage bien évidemment à le faire. Les témoignages et leur mise en perspective me font penser au savoir collectif transmis par les épisodes de Bliss. Mais, pour celles qui n’auraient pas l’occasion de le faire et pour en retenir les idées essentielles, je te propose ci-dessous un petit résumé du livre. Dans un premier temps, cela donnera l’occasion de rappeler l’histoire du féminisme. Dans un second temps (et dans un second article), cela permettra de montrer l’infinie diversité dans la manière dont les femmes expérimentent leur gestation, parfois tenues de se conformer, parfois tentées de se libérer.
Partie 1 – Petite histoire du féminisme
Exclusion des femmes comme sujet par la philosophie
Dans son introduction, Camille Froidevaux-Metterie rappelle que la maternité a été longtemps occultée dans la pensée philosophique. Les femmes ont été exclues de la définition du « sujet doté de raison » dès Aristote, réduites à leur fonction reproductive. Cette vision a perduré chez des penseurs comme Descartes, Kant, et Rousseau. Ils voyaient les femmes avant tout comme destinées à plaire aux hommes, et non comme des égales intellectuelles. L’auteure souligne, à propos de Rousseau :
« Le penseur de la modernité politique conçoit donc sans aucune hésitation que les femmes soient exclues de l’égalité qu’il théorise, réaffirmant la nécessité de les tenir à leur « place », au foyer, au sein d’un ordre social certes démocratique, mais toujours patriarcal ».
XXème siècle, la maternité contre la femme en tant que sujet
Ce dualisme « corps/esprit » est remis en cause au XXe siècle. A ce moment, les femmes peuvent enfin revendiquer leur statut de sujet. Cependant, comme le montre Simone de Beauvoir, un « drame existentiel » persiste pour les femmes. Elles sont « des corps-sujets, libres et agissants ». Mais, le patriarcat les a « réduites à n’être que des corps-objets, disponibles et appropriables » (p23). De Beauvoir voit la grossesse comme une aliénation, un « conflit espèce-individu ». Un conflit dans lequel la femme se perd dans sa fonction reproductive. Elle n’y « trouve pas le motif d’une affirmation hautaine de son existence ; elle subit passivement son destin biologique ».
Elle va plus loin en considérant que la maternité est « une mystification par laquelle la femme aurait l’illusion de devenir l’égale de l’homme alors qu’elle se perd définitivement dans sa condition de mère ». Aïe, ça fait mal ! Mais, à cette époque, les femmes avaient été reléguées dans l’ordre inférieur de la vie privée pour avoir été définies comme des corps sexuels et maternels. Et, sans moyens de contraception, la maternité était « obligatoire ». On comprend mieux pourquoi il fallait s’en « débarrasser » !
Certaines théoriciennes radicalisent cette critique. Shulamith Firestone envisage la libération des femmes par l’abolition de la famille patriarcale, prônant une éducation collective des enfants. Colette Guillaumin, quant à elle, dénonce l’appropriation du corps féminin par les hommes. Ces derniers contrôlent leur sexualité (mariage, prostitution), leur temps (tâches domestiques), et les produits de leurs corps (enfants et lait maternel).
La femme, un homme comme les autres
Il fallait donc tirer un trait sur l’enfantement obligatoire. C’est pourquoi, dans les années 1960 et 1970, la contraception et la dépénalisation de l’avortement aboutissent. C’est ainsi que, pour échapper à la réduction des femmes à leur corps, elles ont voulu enfouir les thématiques corporelles pour ne devenir que « des hommes comme les autres ». Elles ont fait comme si elles n’avaient pas de corps mais « les femmes se sont engagées dans tous les métiers (…) mais elles l’ont fait en continuant d’assumer seules, ou presque, les contraintes de leur vie privée, et en subissant de nouvelles discriminations » (p30).
XXIème siècle, réappropriation du corps et revalorisation féministe de la maternité
La bataille de l’intime
Ce n’est qu’au début du XXIe siècle, avec les études de genre, que la question du corps revient sur le devant de la scène. Cela permet une revalorisation féministe de la maternité. Les années 2010 marquent un tournant avec une dynamique de réappropriation des corps. Les femmes cherchent à briser les tabous autour de la menstruation, de l’utérus, du clitoris et des violences sexuelles. Le mouvement MeToo révèle que :
« en dépit d’une transformation radicale de la condition féminine sur le plan social, et par-delà les principes égalitaires gravés dans le marbre des textes constitutionnels, les femmes occidentales étaient restées des corps à disposition ».
C’est dans cette logique que l’on peut se saisir des thématiques liées à la grossesse « sur fond d’une profonde aspiration à reprendre le contrôle du processus gestatif » (p34). On se rappelle alors qu’autrefois et jusqu’au XVIIème siècle, les femmes se transmettaient leurs savoirs sur la maternité. L’entrée des médecins dans les chambres a fait sortir les (sages) femmes. La médecine patriarcale et brutale a forcé la position allongée, le recours à des instruments et l’obligation d’accoucher dans un hôpital. La grossesse a ainsi été longtemps appropriée par des médecins « formés dans l’idée que l’accouchement est dangereux et persuadés d’être indispensables pour sauver la vie des femmes et de leurs bébés » (p35). C’est ce que j’expliquais dans mon précédent article sur l’accouchement physiologique.
La séquence « maternelle » de la bataille de l’intime
« C’est contre cette pathologisation du corps féminin (…) que s’enclenche, à la fin des années 2010, la séquence « maternelle » de la bataille de l’intime ». L’idée est de reprendre le contrôle sur toutes les étapes de l’enfantement : conception, contraception, premier trimestre, suivi de grossesse, accouchement et post-partum. L’objectif est clair : « redonner aux femmes la capacité de décider et de choisir à chacune des étapes de l’enfantement ». Et ce qu’il s’agisse d’accepter ou non les injonctions médicales, de se taire ou non lors d’une fausse couche, ou même de mener à bien un projet de non-maternité.
Ce mouvement réinscrit la maternité dans une dynamique d’émancipation loin des discours qui la voyaient uniquement comme une aliénation. Cela offre aux femmes une autonomie nouvelle sur leur propre corps.
Penser la maternité dans la diversité de ses expressions
C’est dans ce sillage que s’inscrit l’auteure avec « Un si gros ventre ». Elle précise qu’il ne s’agit pas là d’une exaltation de la maternité mais de la volonté de la penser « dans la diversité de ses expressions ». Il s’agit de dépasser l’opposition entre universalisme (aucune caractéristique ne doit distinguer les individus, les femmes sont des hommes comme les autres et refusent la maternité) et différentialisme (valoriser les spécificités féminines liées à la capacité maternelle). L’auteure s’inscrit ainsi dans le sillage de l’auteure Iris Marion Young. Cette dernière concilie les deux. Elle voit les femmes comme des individus aspirant à jouir de liberté et d’égalité. Mais elle relève la centralité du corps dans nos existences quotidiennes et la nécessité de le penser dans ses dimensions sexuées que l’on ne peut occulter (p43).
Il est donc question dans ce livre « d’extirper l’expérience vécue de la grossesse de son carcan de honte, mettre au jour les ressentis, émotions et réflexions des femmes enceintes, pour réclamer enfin de reprendre possession de la gestation et de l’accouchement (…) dans le contexte contemporain de la réappropriation féministe de nos corps ».
Une approche qualitative
Afin d’accomplir ses objectifs, l’auteure adopte une démarche sociologique. Elle interroge un panel large de femmes (racisées ou non ; différents milieux sociaux et âges ; différentes localisations ou structures familiales…). Ses questions portent sur les bouleversements intimes, sociaux et politiques qu’elles vivent avec leur si gros ventre. Elle tient son pari de montrer les innombrables injonctions patriarcales associées à cette expérience. Elle montre aussi leurs remises en cause, timides ou non. Je te propose de t’en livrer quelques extraits dans mon prochain article.
Et toi, est-ce que tu te reconnais dans ce mouvement de réappropriation de nos corps ? Dis-moi tout en commentaire. Et retrouve-moi sur mon compte Instagram @bigbangmama et sur Facebook.
Vers l’infini et au-delà, Big Bang Mama !
Photo © par Sergey Novikov / Shutterstock
Un grand merci pour cet article qui éclaire d’un jour nouveau le parcours du féminisme ! En tant que professionnelle accompagnant les futures mamans, je suis convaincue que notre histoire façonne notre approche de la maternité. Ta réflexion est très enrichissante !
Merci Sandrine ! Ton enthousiasme fait toujours chaud au cœur 😊 à bientôt !
Merci pour cet article passionnant. J’ai appris plein de choses sur la grossesse et le féminisme ! Pendant la mienne en 2008, j’ai trouvé qu’on ne nous laisse pas suffisamment d’infos et de choix au moment des analyses de sang et tout ce que l’on nous donne comme complémentations…
Merci beaucoup Sara pour ton commentaire ! En 2008, les injonctions et la passivité demandée aux femmes devaient être effectivement encore plus prégnantes ! J’en parle d’ailleurs dans la deuxième partie de mon article « »un si gros ventre », une grossesse libératrice », publiée ce jour. Les choses n’ont pas tellement évolué en 2024, mais un mouvement est certainement en marche. A bientôt !
Merci pour cet article reprenant l’histoire du féminisme et pour ta réflexion pertinente ! Rédaction au top 🙂
Merci beaucoup Giovanni ! Heureuse que tu aies trouvé l’article intéressant ! A bientôt !
Ton analyse du livre est incroyablement riche, merci. Ce que j’apprécie, c’est la façon dont tu explores des thématiques aussi complexes que la maternité et le féminisme avec une approche si humaine et accessible. Le parallèle avec des figures philosophiques historiques et la réappropriation contemporaine du corps féminin donne une profondeur bienvenue. Hâte de lire la suite ! J’espère que tu vas enchainer maintenant après cette longue pause.
Merci beaucoup Elise, tes mots font chaud au coeur. Je suis contente de savoir que mon objectif de rendre accessibles et simples ces problématiques commence à être atteint. Je pense que j’ai encore des progrès à faire pour synthétiser davantage. Mes articles tirent un peu en longueur, mais ça devrait s’améliorer à force de pratiquer 😉 A bientôt !
Tu as bien résumé ce que je pense aussi. Je trouve vraiment bien le fait d’allier la complexité philosophique à l’empathie et la douceur.
Merci beaucoup ! Il n’est pas toujours évident de trouver le bon ton, le bon style, sans dénaturer les propos de l’auteure. Alors, merci 🙂 A bientôt !
Se réapproprier son corps ! Quel programme ! Super article !
Merci beaucoup ! Il nous faudra un peu de temps, mais le mouvement est en marche. A bientôt !
Passionnant cet article !
Le récit est vraiment remarquable pour comprendre l’histoire récente du féminisme. C’est probablement le plus clair et concis que j’ai lu à ce sujet. Ça donne envie d’approfondir sur les différents mouvements du féminisme.
Merci beaucoup ! C’est un plaisir ! A bientôt !